L'entreprise participative, collaborative, partagée, libérée, etc. Mais que ce cache t-il derrière ces titres?
Et si on inversait la pyramide hiérarchique pour prendre les décisions au boulot ?
Difficile d’anticiper le résultat d’une décision... Mais on peut rendre l'issue la moins incertaine possible en suivant la réflexion de Luc Bretones, partisan de la distribution de l’autorité dans l’équipe.
Président de l’Institut G9+, un groupe de réflexion créé en 1995 dans le domaine du numérique, et ex-directeur innovation produits et services chez Orange, Luc Bretones milite en faveur de l’inversion de la pyramide hiérarchique dans le processus décisionnel. Sa réflexion : pourquoi une autorité éloignée prendrait-elle des décisions ayant une incidence sur des collaborateurs dont elle ne connaît pas à 100% le périmètre, les missions ou les habitudes de travail ? Une distribution de l’autorité comme leitmotiv managérial, avec ses avantages et ses limites à affronter, pour mieux les déjouer. Retour d’expérience avec le principal intéressé.
"Il n’y a pas une seule façon de prendre une bonne décision mais plusieurs. Sans pour autant que l’une soit meilleure que l’autre. On peut décider par intuition, à la majorité, par consensus et même à pile ou face… On se sert d’une méthode ou d’une autre en fonction de l’équipe et du moment. Quelle que soit la méthode pour laquelle on opte, le choix doit être établi de manière transparente et susciter l’engagement des collaborateurs pour être efficace.
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J’ai été manager chez Orange pendant près de vingt ans, j’ai expérimenté toutes les méthodes et j’ai fini par inverser la pyramide hiérarchique en distribuant l’autorité dans l’équipe : chaque collaborateur a la possibilité de prendre à tout moment les décisions qu’il juge nécessaires pour lui. L’équipe n’est plus subordonnée à un manager, elle est redevable à un groupe, ce qui incite chacun à être plus attentif à son choix pour ne pas mettre en danger ses collègues. Dans ce processus inversé, beaucoup pratiquent la prise de décision par consentement. C’est-à-dire qu’ils soumettent leur proposition aux personnes concernées au premier chef, qui peuvent à leur tour y faire des objections, y apporter des améliorations.
Ce processus avance par itération jusqu’à ce que la proposition soit acceptable. L’application de cette approche à chaque décision évite les changements brusques, qui font perdre du temps et de l’argent à l’entreprise. Mais ce n’est pas une garantie de succès. J’y ai eu recours lorsqu’on cherchait à lancer de nouveaux produits, et, si certains ont été des réussites, par exemple le lancement d’une clé permettant de retrouver toute son offre télé sur un second téléviseur, d’autres étaient trop en avance sur leur temps, bien que plébiscités, tels les navigateurs Web sur l’écran de télévision, dont les utilisateurs ne se sont pas servis, jusqu’à l’arrivée des plateformes comme Netflix.
Apporter un regard extérieur
Bien souvent, les décisions prises par consensus nécessitent trop de temps puisqu’il faut convaincre toutes les parties intéressées, et n’importe qui ayant un droit de veto a le pouvoir de les bloquer. Certaines entreprises libérées ont créé leur propre processus décisionnel pour gagner en vitesse. L’agence de conseil Semawe a mis en place un trio composé d’un porteur de décision, d’un expert et d’un avis extérieur. C’est une démarche intéressante, car le regard extérieur apporte une touche de prudence ou au contraire un regain d’assurance. Tous leurs processus de prise de décision sont exposés sur une plateforme holaSpirit, adaptée à leur logique d’autorité distribuée.
Quand la boîte à idées est vide, il arrive que l’on se tourne vers une méthode plus extrême. Comme attendre que quelqu’un d’autre prenne la décision à notre place. Ou alors de décider à pile ou face… Une méthode qui peut paraître étonnante, mais des études scientifiques sur les choix pris au hasard font état de résultats qui ne sont pas si mauvais. C’est en tout cas un moyen de gagner du temps !
Droit à l’erreur
Personnellement, ma meilleure solution lorsque j’étais à sec a été le concours d’idées. En particulier à un moment où l’une de mes équipes de terrain était très mal notée par les clients. Celle-ci a été invitée à participer à un brainstorming. La solution la plus créative est venue d’un manager de terrain, qui n’aurait pas osé s’exprimer dans un autre contexte. Il avait constaté que, lorsqu’on répare la connexion Internet d’un client, les trois jours suivants sont décisifs pour savoir si l’intervention a fonctionné.
Il a proposé d’acheter des répondeurs et de munir les techniciens de cartes de visite qu’ils remettraient aux clients, en leur expliquant qu’il fallait laisser un message à ce numéro si leur connexion retombait en panne dans les trois jours. Le message serait immédiatement transmis au technicien, qui procéderait rapidement à une seconde intervention. Avec cette idée, on a devancé le service client de la concurrence ! Le client était heureux de revoir le même technicien, et ce dernier apprenait de ses propres erreurs.
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Quoi qu’il en soit, il ne faut pas sous-estimer les décisions autocratiques, qui se révèlent parfois efficaces pour trancher en situation de crise, mais pas seulement. Je m’en suis servi pour imposer à mes équipes le lean start-up, une méthode agile internationale, adaptée aux projets innovants au commerce. Au lieu de susciter de la résistance, comme je l’avais imaginé, l’idée a été bien reçue ! Grâce à cette approche, les équipes ont appris le langage des startup et engagé des interactions entre elles.
En revanche, j’ai échoué avec d’autres décisions autoritaires, comme, par exemple, celle de se limiter aux déplacements en seconde classe pour baisser les coûts. Mes collaborateurs m’ont fait valoir plus tard que le mieux était de fixer un budget annuel de mobilité à chaque équipe. Etonnamment, les équipes préfèrent limiter le nombre de voyages plutôt que la classe. Il est vrai que les collaborateurs sont parfois amenés à voyager en urgence, lorsqu’il ne reste que des billets en première ! Par la suite, je les ai laissés gérer librement leur budget repas ainsi que leurs propres dotations en matériel (téléphone, etc.).
Des décisions qu’on croit bonnes mais qui ne le sont finalement pas, il y en a plein. Par exemple, lors d’une réorganisation, c’est en mettant en situation une personne que l’on peut savoir si elle est compétente dans son poste. Il m’est arrivé de confier des rôles de management à des experts (en développement informatique, en intervention terrain, etc.) et de commettre une double erreur. D’une part, ils n’étaient pas faits pour de telles responsabilités et, d’autre part, on a gâché leur expertise.
Penser que pour réussir sa carrière il faut devenir manager est un dogme qui, comme beaucoup d’autres (changer de poste tous les trois ans, etc.), nous amène à prendre de mauvaises décisions pour notre équipe. Il faut toujours appliquer le cas par cas sans oublier le droit à l’erreur. Bien que les écoles perpétuent le plus souvent un management traditionnel, il est important que les nouvelles générations se nourrissent du témoignage de leaders expérimentés, qui ont pu apprécier les bénéfices de l’inversion de la pyramide."
Biographie de Luc Bretones, président de Purpose for Good
1996 : diplôme d’ingénieur à l’Ecole centrale de Marseille
1998 : MBA à l’Essec Business School
2000-2019 : manager chez France Télécom Orange
2019 : président de l’Institut G9+
2019 : création de Purpose for Good, entreprise dans le domaine du conseil et de l’événementiel
2020 : auteur du livre L’Entreprise nouvelle génération (Eyrolles, parution le 14 mai) et organisateur du sommet du même nom
7 grands principes à retenir
Qui va prendre des bonnes décisions ? C’est nous !
"Parler des décisions à prendre avec les personnes concernées, c’est mieux ! La transparence est nécessaire pour qu’une décision soit acceptée par les équipes.
Distribuer l’autorité dans l’équipe, c’est mieux quand c’est possible. Chaque collaborateur devrait pouvoir prendre à tout moment les décisions qu’il juge nécessaires pour lui. Cela recentre l’engagement de l’équipe sur le collectif plutôt que sur un responsable hiérarchique.
La prise de décision par consentement évite beaucoup de dangers à l’entreprise : on soumet une proposition aux personnes concernées. Elles présentent leurs objections et on retravaille l’idée jusqu’à ce qu’elle soit jugée acceptable pour tous.
On peut s’inspirer du trio de décision mis sur pied par l’agence de conseil Semawe et solliciter un avis extérieur avant de trancher. Intéressant d’avoir un regard nouveau.
Penser à avoir recours au concours d’idées pour engager toute l’équipe.
Décider seul peut être efficace pour trancher en situation de crise. Néanmoins, il faut toujours appliquer le cas par cas.
Quand on s’est trompé, on l’admet ! Oui, le manager a le droit à l’erreur et doit apprendre à revenir vite sur ses choix lorsqu’ils se révèlent erronés."
Source : Capital avec management